Jacques Aslanian a choisi de peindre quand il a senti qu’il lui fallait une voie solitaire, un métier où on est face à soi-même.

Rien ne l’y avait préparé, ni ses origines, ni son entourage, ni sa formation. Ses mains et son regard sont ses maîtres ; devant la toile c’est la force d’un sentiment profond qui lui enseigne aussi bien la façon d’aborder son sujet que le savoir-faire qu’il lui faudra trouver.

Dans sa peinture, ses yeux regardent le monde de ses parents ou de ses contemporains avec parfois de la tristesse, souvent de la fantaisie et comme une question étonnée. Ses personnages nous regardent tout droit, leur peau comme éclairée de l’intérieur. La matière est toujours là, nourrie, vibrante, qui coexiste avec une dimension invisible qui nous touche silencieusement.

Quand, chez ses amis potiers, il lui a été donné l’occasion de prendre de l’argile dans ses mains, un sens intime l’a à nouveau guidé. Comment a-t-il fait pour trouver de lui-même l’art de monter de hautes pièces sans qu’elles ne s’effondrent avant de sécher ou n’éclatent à la cuisson. Les amis potiers n’ont pas compris. Et Jacques lui-même n’en donne pas d’explication. Il dit simplement qu’il aime la terre, qu’il a besoin d’elle, qu’il a appris à lui parler. Dans son atelier, il a souvent sculpté de nombreuses heures sans s’arrêter, parce qu’il ne peut pas s’arrêter, parce que le besoin de faire monter la terre, de lui donner visage est brûlant. Et ses pièces sont remplies de cette nécessité. Jacques est tout entier dans ses œuvres. Il leur donne la force de son enracinement, sa liberté de ton, son espièglerie même et son intériorité sensible.

A regarder ces peintures et ces sculptures, on sent un monde s’ouvrir en nous, quelque chose qui ne s’impose pas, qui invite à rechercher. A sentir autrement. Un petit homme debout dans un cercle tracé s’apprête à lancer sa boule de pétanque.

Jacques regarde les gens de tous les jours, il les sculpte et les peint. Pourtant le petit homme a les yeux fermés. On le sent concentré sur sa perception intérieure, posé parfaitement sur son axe, les grands pieds nus sensibles comme des oreilles à ce qui vient de la terre.

Sculptures ou peintures, elles ne suggèrent pas une philosophie tendue, il n’y a pas d’arrogance, il n’y a pas de leçon. Il y a simplement la question dans ses yeux fermés ou ouverts, cette question insistante qui ne se formule pas et qui nous parvient à travers une matière aimée, vivante, vibrante.

Christine Gayet Mai 2003

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